Jour 27 | 26 octobre 2019 | San Román de Retorta – Arzua (41 km / 10h30)

ETAPE V

Une journée sans histoire. Démarrage à 8h20 avec un beau lever de soleil sur la campagne galicienne. Aujourd’hui encore, aucun point d’arrêt en route pour un petit-déjeuner ! Après 3h30 de marche, je me décide donc à faire un picnic dans une petite clairière au bord du chemin.

Il fait beau avec un petit vent frais… parfait pour marcher. Je repars pour 2h30 de parcours jusqu’à Melide, là où le « Camino Primitivo » rejoint le « Camino Francés », celui que j’ai déjà emprunté il y a deux ans. Dès lors, je vois plein de pèlerins arriver, pendant que je fais ma deuxième pause de la journée, à la terrasse d’un bar. A partir de cet endroit, je reconnais certains passages, c’est bien sympa.

Je fais une dernière halte à 6 km de l’arrivée, en profitant de plonger mes pieds dans l’eau fraîche d’une petite rivière.
Arrivée après 18h30 à Arzua dans une auberge très sympa. Courses pour demain, menu du pèlerin au resto d’à côté et séance de « pieds dans l’eau glacée »… en prévention ! Et puis, j’ai quelques nouvelles de la petite troupe qui est 30 km derrière moi.

J’ai mal au dos depuis trois jours. Mais ça devrait bien tenir jusqu’au bout du périple, même si ça craque dans tous les sens quand je fais des roulades sur le dos, le soir !

Demain, arrivée à Santiago.

 

Jour 28 | 27 octobre 2019 |Arzua – Santiago de Compostela (39 km / 10h30)

Hasard du calendrier et comme il y a deux ans, lors de mon premier périple, le passage à l’heure d’hiver intervient dans la nuit qui précède mon arrivée à Santiago. Et comme la dernière fois, j’en profite pour partir à la même heure, 6h50, et donc de nuit !

Chemin faisant, je tombe d’abord sur une auberge endormie dans la campagne qui affiche plein de citations et de propositions de réflexion. Un beau chat isabelle (tricolore) angora vient se frotter contre moi et me faire des câlins.
Tout en marchant, je me rends compte que je suis une nouvelle fois tombé dans mes vieux travers : prévisions et performance. Je réfléchis à la manière dont je pourrai éviter ça la prochaine fois et rencontre la possibilité d’une première mise en application immédiate de cette bonne résolution ; sur le chemin, un bar attire mon attention ; tout son jardin est décoré avec des bouteilles vides de bière « la Peregrina » et j’entends de la musique religieuse venant de l’intérieur ! Mais j’hésite, car il est à peine 8h45, trop tôt pour faire un premier break et surtout pas cohérent avec mes prévisions !

Je fais trois pas pour m’en aller, puis deux pour revenir, avant de finalement entrer dans ce bar atypique. Jus d’orange, tortilla et « jamón ». Je prends mon temps, enfin. Et à nouveau les chats : deux chatons jouent avec les boucles de mon sac posé contre le mur.

Un peu plus tard, je suis talonné dans les bois par une femme que je remarque, car ses bâtons font du bruit. J’essaie de la distancer… sans succès. Elle me rattrape et engage la conversation. Elle s’appelle Line, est Franco-Américaine et vit en région parisienne ; assez rapidement elle me partage l’importance de la non-performance sur le Chemin. Tiens, tiens justement mon thème de réflexion du jour !
Un peu plus loin, un beau cheval blanc galope dans tous les sens dans un grand jardin. Puis lorsque nous approchons de la grille il se calme et se laisse caresser… A la faveur d’une pause picnic, je laisse Line me devancer et retrouve de l’espace pour marcher seul. Je me mets le Boléro de Ravel dans les écouteurs… magique !

L’arrivée à Santiago est interminable : une douzaine de kilomètres sur route, traversée de quelques lotissements puis zone industrielle, ouf, j’arrive enfin… Une fois sur place, je file à l’office de tourisme pour y consulter les horaires de bus pour Fisterra, puis je fais les démarches pour recevoir la Compostela.

Quel bonheur que d’avoir achevé encore une fois, ce périple !

Demain j’ai rendez-vous avec Patricia à la messe de midi, avant de reprendre le Chemin vers Muxia et Fisterra, en bord de mer.

 

Jour 29 | 28 octobre 2019 | Santiago de Compostela / Negreira – Lago (28 km / 5h30 + 22 km en bus)

Un peu de chaos et une soirée dantesque. Je retrouve mes vieux démons.

Grasse matinée en ce matin pluvieux ; à force de traîner, je suis presque en retard et je n’ai pas eu le temps de manger ! Pourtant je n’ai que peu de choses à faire à Compostelle : aller chercher les infos pour me rendre à Muxia et attendre Patricia pour la messe de midi à l’église San Francisco. En effet la cathédrale est en travaux, avec des échafaudages partout. Les retrouvailles avec Patricia sont chaleureuses, mais la messe elle-même est assez quelconque : il manque le faste festif de la cathédrale et son Butafumeiro !

Dès la messe terminée, je file à la gare routière (1,5 km) pour attraper le bus pour Negreira (et ce faisant gagner 22 km sur le trajet pour Muxia).

Le bus est en retard et arrive à 15h à Negreira. Le temps de m’équiper, d’avaler un énorme sandwich tortilla, un Coca-cola et de recharger un peu mon téléphone (que j’ai laissé tomber hier soir et dont la vitre fendue), il est 15h15, très, voire trop tard pour la distance à parcourir.

Le début de l’étape est très joli, en sous-bois le long d’une belle rivière et sous une pluie fine. Mais assez vite la pluie augmente et la nuit tombe. Je marche à un rythme très rapide mais il n’y a pas de miracle ! Vers 19h, il fait nuit noire et il me reste 9 km à parcourir. Je traverse des zones peu habitées, tout est fermé, pas un bar d’ouvert, rien. Je m’éclaire à la lampe frontale, sous la pluie et le vent. Je suis assez serein, mais j’ai bien conscience d’avoir prévu trop juste. N’importe quoi !

Finalement, je trouve une petite boulangerie ouverte. Je m’y réfugie et passe 15 mn à faire recharger mon téléphone. J’en profite pour vérifier que l’auberge va attendre mon arrivée. C’est bon, ouf.

La dernière heure va être dantesque : pluie battante, vent, obscurité. Je suis au maximum de ma vitesse de marche. J’arrive à 20h50 dans une auberge très sympa. Je m’installe au plus vite et file prendre un excellent menu du pèlerin… ma récompense ! En marchant, je me suis promis de ne plus refaire de telles « acrobaties » sur le Camino et dans la vie.

Je suis à une étape de Muxia… et j’espère une amélioration météo pour profiter de la côte galicienne. Le reste de la troupe est arrivé aujourd’hui à Compostelle.

 

Jour 30 | 29 octobre 2019 | Lago – Muxia (40 km / 10h – 9h)

A mon réveil, mes habits ne sont pas encore secs. Je mets les affaires non nécessaires dans des sacs en plastiques et remets mon pantalon encore humide.

Quand je repense à la journée d’hier, même si l’étape a été difficile, je suis content de l’avoir gérée seul et jusqu’au bout. Je m’en rappellerai comme un moment privilégié avec moi-même.

Départ à 8h05, par un temps gris mais sec. Tout au long du parcours, la journée alternera entre grisailles et courtes séquences de petite pluie, entre chemins boisés et route bitumée.

En me rapprochant de la bifurcation de Muxia, je reconnais des endroits où je suis passé il y a deux ans. Peu avant 11h, je m’accorde un premier break à 1 km avant la bifurcation, avec un énorme sandwich-tortillas. Puis j’enchaîne de longues heures de marches. Je me sens encore fatigué du parcours exigeant de l’après-midi de la veille.

La journée est marquée par les animaux : j’assiste à la naissance de triplés de brebis et vois les petits qui essaient de marcher. Puis, dans une bâtisse où je m’arrête pour demander de l’eau, je croise deux chatons tout mignons. Et dans la rue suivante, je rencontre des poules en liberté. Mais c’est lors de mon arrêt dans une petite église à côté du cimetière que je vais faire ma rencontre animalière la plus forte. Je m’installe pour faire un casse-croûte et voilà qu’apparaît une chatte qui en en veut à ma nourriture de façon frénétique. Même après mon en-cas, elle ne me lâche pas, se frotte contre moi, me grimpe dessus pour faire des câlins.

Je repars pour les 10 derniers kilomètres, un peu poussivement. Mais c’est durant ce tronçon que je dépasse les 1000 km parcourus depuis mon départ !

L’arrivée à Muxia avec la vue sur l’océan est spectaculaire. Au bout du Chemin, près du phare, je fais la rencontre de Julie. Nous décidons de faire « machine à laver et séchoir » communs. Puis nous irons boire une bière et manger avec Étienne, un autre pèlerin lyonnais.

Ils me parlent d’une autre coach qui accompagne des dirigeants sur le Chemin : ils ont rencontré Cathy sur la partie française… incroyable ! (Cathy dont je parle dans le livre JUST WALK et qui m’a décidé à de me lancer sur le Chemin)

A suivre demain, dernière et plus raisonnable étape vers Fisterra.

 

Jour 31 | 30 octobre 2019 | Muxia – Fisterra (35 km / 8h30)

La tentation de la résignation…

Julie, Etienne et moi avons décidé de marcher ensemble. Julie m’a prévenu qu’elle ne marchait pas aussi vite que moi, mais que pour cette dernière étape nous allions trouver un rythme commun.

Au moment de partir, vers 8h30, un Américain, (ils sont réputés bons marcheurs), revient au gîte en disant que c’était impossible : « J’ai fait demi-tour, il y a trop de vent trop de pluie j’étais trempé en moins d’une demi-heure ; tant pis, je vais rallier Fisterra en bus ! » La météo annonce effectivement un vent à 85 km/h de face… Je suis tiraillé ; d’une part je me rappelle mes nouveaux engagements, pris récemment, d’être plus raisonnable. D’un autre côté, je me dis que marcher, quelles ques soient les conditions climatiques, fait partie des engagements du pèlerin. Je finis par convaincre mes deux compères de tenter l’aventure : nous allons tenter de marcher pendant une heure et si c’est trop compliqué, nous aurons encore le temps de faire demi-tour pour prendre le bus ; au pire nous nous serons mouillés.

Dès la sortie de Muxia, les rafales de vent pluvieuse nous arrivent en face. Étienne abandonne au bout de 15 minutes. Pourtant, au bout d’une heure et demie, Julie et moi sommes toujours en train d’avancer. Nous avons quitté la côte et sommes rentrés dans les terres. Le vent faiblit peu à peu, la pluie aussi, nous avons gagné notre pari.

Nous parcourons cette étape tranquillement sous un temps gris et une pluie de plus en plus fine en discutant tout du long. Nous faisons un dernier arrêt dans un hameau de Mathibot, où on nous propose un plat de lentilles chaud, bienvenu ! Et comme dessert, des figues. Je me rends compte que je n’ai plus mangé de figues depuis le début du Camino Primitivo. Les figuiers resplendissants ont fait place à des figuiers un peu rachitiques aux fruits verts. Ils ont été remplacés par énormément de magnolias magnifiques.

L’arrivée à Fisterra se fait sous un ciel gris, mais la vue sur ce « bout du monde » est toujours aussi impressionnante. Conformément à la nouvelle tradition, je décide d’aller me baigner, même si le temps ne paraît pas très estival.

Après avoir posé notre sac à dos à l’auberge nous filons établir notre Finisterrana (certificat d’arrivée à Fisterra) ; puis, sans avoir pris le temps ni de me doucher ni de changer mes chaussettes mouillées, je prends mes bâton et file seul jusqu’au phare, à 3 km du centre du village.

Comme il y a deux ans j’y arrive un peu tard, à la tombée de la nuit, mais je parviens quand même à faire la fameuse photo de la borne zéro !

J’ai oublié de prendre ma lampe frontale et je vais donc redescendre les 3 km dans la nuit noire, prudemment. Après installation et une douche bien méritée, je vais rejoindre Julie et une troupe d’amis espagnols dans un restaurant typique et populaire de la ville. Le repas sera très bon et bon marché, dans une ambiance espagnole sympathique et animée.

Nous sommes très contents d’avoir tenu et d’avoir atteint le bout de notre voyage, à pied, en vrais pèlerins. En ce qui me concerne, ce ne furent pas moins de 1037 km de parcourus en 31 jours.

A suivre demain le tout dernier épisode, à savoir le voyage du retour…

 

Jour 32 | Jeudi 31 octobre 2019

Jour du retour, l’occasion de quelques réflexions…

Et voilà ! C’est l’heure du retour et je me réjouis déjà de retrouver tout à l’heure ma femme et ma petite famille.
Je décide de partager avec les sympathiques Espagnols un BlaBlaCar pour faire le trajet de Fisterra à Compostelle. Quelle sensation étrange de remonter dans une voiture et de faire en 1h20 le parcours qui m’a pris plus de trois jours !

J’essaye de voir Jodi et Andie avant de partir, mais sans succès. C’est comme ça. En revanche, dans le bus qui me conduit à l’aéroport, je tombe sur Brian puis sur Hendrik que je n’ai pas vus depuis 15 jours ; toujours les « hasards » du Chemin !

On me pose souvent la question de comment j’ai vécu ce deuxième Chemin de Compostelle et s’il m’a paru différent du premier. Ce qui a marqué ce voyage, c’est tout d’abord la pluie, car il y a eu 15 journées pluvieuses sur les 31 jours de mon parcours espagnol, contre à peine une demi-journée à la même période, deux ans auparavant.

Mais en fait, la vraie différence entre les deux périples, c’était moi ou du moins mon état interne. Curieusement, j’ai pu observer que lors de cette seconde version du Chemin de Compostelle, la peur était absente de mes pensées. Lors de mon premier périple, j’étais vraiment envahi par l’anxiété et l’insécurité… d’où le poids de mon sac au départ, surchargé de tout ce que j’avais prévu pour gérer cette peur.

En 2017, la distance à parcourir, plus de 1600 km, me paraissait impressionnante, vertigineuse, parfois insurmontable ; l’idée de vivre des journées de marche sous la pluie m’inquiétait. Je ne savais pas non plus si mon équipement était vraiment adapté et je n’avais jamais vraiment utilisé un sac à dos dans ma vie. La gestion des hébergements me préoccupait, les nuits en dortoir, l’organisation des ravitaillements. J’avais encore plein d’autres sources d’inquiétude : la fatigue, les douleurs, la solitude, l’éloignement de ma femme et de ma famille, le calcul des distances quotidiennes sur un parcours que je n’avais jamais réalisé ; j’étais à l’époque un vrai « marcheur du dimanche »…

Mais la confrontation avec ces peurs et ma capacité à les traverser est précisément ce qui a fait la force de cette expérience et qui m’a inspiré à faire récit de ces souvenirs dans le livre « Just Walk ».

La deuxième version du Chemin, en octobre 2019, en empruntant le Camino del Norte, puis le Camino Primitivo, s’est déroulée pour moi d’une façon beaucoup plus apaisée et sereine.

Je savais que mon équipement était parfaitement adapté, je n’avais aucune crainte sur la gestion logistique. Ni la durée ni la distance ne m’effrayaient. Finalement, ces peurs traversées lors de mon premier périple se sont transformées en confiance. Je me suis surpris à certains moments à me dire que j’étais capable de parcourir de très longues distances quotidiennes sans ressentir aucune crainte à l’idée de marcher des heures durant. Dans ma tête, je me savais capable de faire 40 ou 45 km en une journée si nécessaire, même si ce devait être sous la pluie.

J’ai observé aussi ma plus grande résistance aux messages « inquiétants » de mes confrères pèlerins, notamment quand j’évoquais mon projet de bifurquer sur le Camino Primitivo et que je m’entendais dire : « Il paraît que c’est vraiment dur, très montagneux, parfois très froid, … »

J’ai vraiment ressenti cette sérénité lorsqu’à Lugo j’ai pris la décision de quitter le confort du groupe d’amis rencontré en route pour repartir seul et marcher plus et plus vite. J’ai savouré cette décision de reprendre ma liberté et profiter seul de la fin du Chemin. Je me souviens aussi de mon calme dans la nuit, sous la pluie et le vent de l’antépénultième étape, fort du sentiment que rien ne pouvait réellement m’arriver et me réjouissant d’affronter cette épreuve seul, sans, personne à soutenir.

En conclusion, si l’expérience de ce deuxième Chemin de Compostelle a été moins « haute en couleurs » ou a connu moins de rebondissements, j’ai finalement mieux su en profiter, en perdant beaucoup moins d’énergie à gérer mes doutes et mes inquiétudes.

Malgré cette différence, le point commun pour mener ces deux périples à leur terme reste la force du mental, l’envie d’atteindre un objectif, de tenir la moyenne, d’être en anticipation.

Je sais et je sens que mon troisième Chemin de Compostelle en 2021, qui me mènera de Seville à Compostelle par la « Via de la Plata » sera encore très différent. Peut-être qu’il en sera la version la plus aboutie : prévoir de ne rien prévoir, prévoir plus de temps pour effectuer la distance pour ne pas avoir à programmer, cheminer sans carte ni contrainte, laisser faire, suivre mes intuitions et mes envies, aller plus lentement, attendre et profiter… Progresser sans attente autre que de vivre l’instant présent… un défi de taille pour moi, finalement peut-être le plus grand.

D’ici là et puisque les Chemins de Compostelle réouvrent, je ferai profiter à ceux que je vais accompagner de mon expérience, celle de pèlerin et coach, pour leur offrir un peu de cette magie qui nous aide à devenir qui nous sommes vraiment, à déposer nos peurs, y voir plus clair et vivre ce qui est juste pour nous.

A suivre en 2021…

Si cette série de posts vous a plu, je serais heureux que vous me fassiez part de vos commentaires à mon adresse: stephane.beguier@revercible.org. N’hésitez pas non plus à les partager !

#chemindecompostelle #souvenirs #caminonorte #capsurcompostelle #justwalk

Et si vous voulez poursuivre la lecture et approfondir le sujet, je vous recommande «JUST WALK – Cap sur Compostelle» le récit autobiographique de mon premier Chemin de Compostelle, vu au travers du regard d’un coach. https://www.revercible.org/capsurcompostelle/